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Ce SRAS a faim
4 juin 2006

Guojia Pu, la ville d'Emma

Le Velvet Underground dans les rues de Benxi, ma fenêtre ouverte sur la ville.

p5310013A une heure de Benxi en bus se trouve le village familial de Ma xing. Un grand axe brise le hameau d'habitation en deux et des trois tonnes soulèvent des kilos de poussière jusqu'au septième étage de l'immeuble où habitent les parents d'Emma. Ni clés, ni sonnette, ni lumière, on entre chez soi, chez le voisin et tous les sons se mêlant on se sent partout à la maison.
Deux minuscules pièces où des objets s'empilent jusqu'au plafond : à gauche la chambre des parents qui inclut le salon télé, la salle à manger, le dressing, la chambre d'amis dans 15 m² ; tout de suite en entrant, après avoir enfilé les chaussons, on atterrit dans un couloir dallé de carreaux blancs faciles à nettoyer ; des légumes trempent dans des bassines d'eau, une gigantesque cuve d'un mètre vingt recueille l'eau pour la semaine que le père va chercher dans les montagnes sur sa mobylette ; et tout au bout de ce couloir une avancée véranda où la mère cuisine et se retourne vers nous, hâchoir en main. Les jiao zi sont roulés, la viande pour le lendemain repose dans un bol au soleil, il y a plusieurs années que le frigo est cassé et qu'il abrite les sauces préparées à l'avance, les pattes de canard, les cous de poulets, et les blocs de tofu.

L'eau bout, le père devrait bientôt arrivé avec quatre bières, une par personne, qu'il finira par boire à lui seul. De la fenêtre, on aperçoit l'usine où il travaille , les grandes cheminées. Toute la famille est d'origine paysane mais grâce à son service dans l'armée de terre pendant dix ans, il a pu échapper à la dure condition d'éleveur/agriculteur. Maintenant, il travaille la nuit et parfois le jour comme simple ouvrier, alors m'explique-t-il quand il a une journée de repos comme le lendemain, il en profite pour dormir.   

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Le père d'Emma à 20 ans et sa mère alors infirmière

C'est le jour de la fête du dragon, ce jour-là, on mange des zhong zi, ces petites pyramides de riz roulés dans  une feuille de maïs et truffées d'une datte.
A table, l'accent du Nord est fort, je dois me concentrer pour comprendre ce qu'on me demande et toute la généalogie familiale qu'on essaye de me retracer sur neuf générations. Le dîner est simple, je mange jusqu'à sentir mon ventre se rebeller, mais je sais que je n'échapperai pas à la mère d'Emma qui surveille le niveau de mon assiette, observe ma technique de baguettes, approuve satisfaite et m'exhorte à reprendre des raviolis.


p5310015Elle ne parle pas beaucoup, elle se tortille sur sa chaise, honteuse du sein qu'il manque sous son t-shirt, tandis que son autre lourde mamelle lui pend en-dessous du nombril.
Elle me montrera plus tard les photos où elle porte une perruque, les cheveux qui lui manquaient, tandis qu'Emma complètera le récit en racontant comment toutes les maladies qui les ont touchées elle et sa mère, ont appauvri la famille, qui aurait pourtant pu avoir une belle retraite. C'est trop tard.
Je suis fière des progrès d'Emma en français, elle ira loin. Les parents savent qu'elle sera l'enfant de leur avenir, celui qui leur paiera des voyages.

La grand-mère habite à quelques mètres à côté du marché municipal ; toute le reste de la famille maternelle loge dans un local de l'usine, censé être un logement temporaire, centre d'hébergement pour ouvriers. Depuis 20 ans qu'ils vivents là, ils n'ont jamais vu de lumière dans les escaliers, ils utilisent des lampes de poche pour passer d'un appartement où on regarde la télé, à un autre où on joue au Ma zhong, ou encore à celui où on reçoit pour la fête du Dragon.

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p5310017Toute la famille vient saluer la grand-mère de 75 ans assise sur son lit à barreaux, sur le couvre-lit jauni par les faiblesses de l'âge. On se pousse pour s'assoir sur le lit de la grand-mère, les jeunes chahutent, Emma avec. C'est un bordel sans nom. Un oncle habité par le démon, me dit-on, vient m'écraser les doigts dans sa pogne pour me souhaiter la bienvenue puis il fume son paquet de cigarettes dans la chambre avant de repartir. Quatre générations sautillantes. Emma crie, la mère d'Emma s'époumonne et la grand-mère tente de gueuler quelque chose en rapport avec la série télévisée qu'elle regarde. N'aimant que le sucré, on est passés à la patisserie lui acheter des gâteaux qu'elle enfourne dans sa bouche après avoir dédaigné les plats de la tante, humiliée du refus, qui s'énerve à emballer les restes dans des torchons en marmonnant. p5310026

Je m'en vais chez les voisins dire bonsoir, puis on marche dans la nuit avec Emma. C'est très calme ici, rien à voir avec les couleurs nocturnes de Benxi. Des rues comme des coupes-gorges mais sans assassins pour les hanter.

Les parents rentrent et étalent des centaines de photos pendant plus de deux heures. Nous nous endormons dans la même salle. Sauf moi. Le père a un sommeil agité, il parle, il crie et il ronfle comme jamais je n'ai entendu quelqu'un ronfler. A deux heures du matin, je capitule. Je réveille Emma et nous bougeons le matelas dans la cuisine. Les allers retours n'arrêtent pas de la nuit aux toilettes. La promiscuité a quelque chose de rassurant dans cet univers confiné. On se réveille à 6 heures avec un déjeuner gargantuesque et je dis au revoir à ces gens avec qui j'ai vécu si proche, partageant leur intimité sans le vouloir.

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