Kim Sun et les autres
Jean-Marc, en évoquant le nom de Kim Sun, m'a rappelée, je ne sais pourquoi ni comment, à un souvenir télévisuel chinois.
Comme il n'y a que deux chaînes à regarder en Chine, celle sur la copulation du monde animal, ersatz de chaîne porno, gratuite et diffusant en boucles ses programmes pour les insomniaques, et celle qui présente des documentaires sur la Chine d'avant ou d'aujourd'hui, je zappais entre les deux dans ma chambre d'hôtel miteuse où ni l'eau chaude, ni l'électricité ne fonctionnaient, terrée au fond de ma couette louche.
Je me décide pour un documentaire sur un adolescent de Chine du Sud qui passe ses journées à attendre du travail dans les chantiers et à attendre sur des bancs, ou adossé contre des murs, tandis que la caméra tourne en plan séquence fixe.
L'adolescent après avoir traîné ses vieilles fausses Nike, grisées par la pluie boueuse, dans deux trois bars où il finit les assiettes des clients peu affamés, nous mène à un batiment administratif quelqconque dont le hall est ouvert au public et présente une collection de portraits et de photos à la gloire du Communisme. Chose bien banale en Chine.
La caméra, toujours en plan séquence, ose un travelling derrière le dos du jeune homme qui s'arrête devant chaque photo de Grand Homme, la mine sérieuse et pensive. Lénine lui inspire respect et modestie, et il reste bien trois minutes avant de rendre le même hommage à Staline et Mao.
Mais au lieu de couper là sur ce plan plein de cérémonie, l'adolescent continue sa visite du mur et quitte le premier Président de la République de Chine pour un dernier objet qui attisera en lui le même sentiment de religiosité : un bouton d'alarme incendie. C'est ce petit cadran rouge, d'une grandeur de 10 cm sur 8 cm, qui retient son regard le plus longtemps dans le plan séquence du documentaire.
Peut-être la couleur rouge l'a-t-elle induit en erreur ? Peut-être le souvenir de l'incendie ravageant Carthage donnait à notre héros des idées d'une autre révolution ? Qui sait ?
Reste que ce documentaire, qui n'est pas flatteur s'il veut établir la réussite sociale de la Démocratie chinoise, et particulièrement cette séquence sont le témoignage le plus subversif qu'il m'ait été donné de voir en Chine.
Ah ces Chinois, artistes malgré eux, révolutionnaires dans l'âme !