Pensée courte
Quelqu'un m'a dit il y a peu à propos de mon texte sur les odeurs à Benxi : " Tu y es allé un peu fort, imagine si ton amie chinoise lit cette page, elle va mal le prendre". Alors une question se pose aussitôt à mon esprit, est ce que l'écriture doit s'encombrer de ce genre de pensée ?
Ménager la susceptibilité des autres n'est pas une matière de la littérature, pour cela on peut écrire des poèmes ou des discours lors des rassemblements annuels familiaux, briller un peu pendant dix minutes avant que les noceurs retournent à leur plat, la mémoire déjà délestée des gentilles paroles que vous avez prononcées. J'aime beaucoup écrire de belles choses pour les gens que j'aime sincèrement dans ces situations de célébration, cependant j'avoue que je ne m'en soucie plus quand il s'agit d'autre chose : de littérature.
J'ai la prétention de croire que je n'écris pas comme je pense ni comme je parle, heureusement vous dirai-je vu mon oral ! Je choisis mes mots et surtout je choisis le monde que je vois. Ainsi que ceux qui se sentent choqués par mes mots crus ou subversifs se rassurent : comme le sang qu'on voit couler dans les films gore n'est en réalité qu'un artefact, un moyen de vous faire croire à une boucherie babrbare, ma langue ne cherche pas les vraies odeurs ou la vraie couleur du ciel.
Imaginons un moment que tous les peintres aient essayé de rendre le même ciel, la même carnation, nous ne pourrions pas mesurer la différence entre un ciel de Raphaël et un ciel de Boucher, entre les anges de l'un et ceux aux fesses rebondis et rosissantes de l'autre...
Je réclame mon droit à la violence verbale, à la cruauté virtuelle, sans égard pour mes proches, car c'est à eux qu'il revient de comprendre que je suis quelqu'un d'autre, je suis l'Ecrivant et non plus Moi. Vous parlez à quelqu'un de différent sans le voir.
Pour écrire, il faut du courage car la peur du regard de l'autre peut stériliser une écriture. Ma mère m'a toujours répété que Montaigne ne s'est mis à écrire que tardivement à la mort de ses parents, à la mort du jugement qui le touchait le plus.
J'espère ne pas avoir à attendre ce jour. Que ce regard se fasse plus léger : ne jugez pas la personne mais son oeuvre.